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le prix de service public

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AJDA 1997 p.55
Le prix du service
public
(1)
Robert Hertzog, Professeur à l'Institut d'études politiques de Strasbourg
L'essentiel
Service public et finances publiques entretiennent d'étranges rapports. Autant la
relation de fait est intime, l'argent du service public étant par définition la substance
des finances publiques et la raison d'être de celles-ci étant d'assurer la marche de celuilà, autant les classifications juridiques se recoupent peu.
Les réalités financières n'ont guère compté dans l'élaboration de la théorie classique du
service public , tout entière vouée à la définition du droit administratif et au balisage
des frontières entre les deux ordres de juridiction (2). De leur côté, les catégories du
droit financier ne font aucune place au service public . Ni l'impôt, ni les institutions
budgétaires, ni le droit de la comptabilité publique ne se définissent par cette notion.
Est-ce parce qu'elle est décidément impropre à rendre compte de la réalité des choses ?
Curieusement, c'est par le prix , ressource publique plutôt marginale (3), que la
rencontre s'effectue avec le plus de netteté, et que se perçoit le mieux la double crise que
traversent le service public et les finances publiques.
D'un côté, la constatation des caractères particuliers acquis par certains services , du
fait de leur mode de financement, fut à l'origine de la grande fracture dans l'unité
mythique du service public : « En effectuant, moyennant rémunération, les
opérations de passage des piétons et des voitures d'une rive à l'autre de la lagune, la
colonie de la Côte d'Ivoire exploite un service de transport dans les mêmes conditions
qu'un industriel ordinaire (4). » La tarification des prestations fut donc d'emblée le
critère déterminant des services publics à caractère industriel et commercial ; en
révélant la gestion privée du service public dans son ensemble, elle en modifiait
globalement le régime (5).
Dans l'autre sens, le service public est un élément essentiel de la définition du prix
(6), devenue la catégorie de ressources publiques la mieux délimitée, au point de
caractériser en négatif les impositions elles-mêmes (7). Les prix sont les sommes
d'argent « demandées à des usagers en vue de couvrir les charges d'un service public
déterminé ou les frais d'établissement et d'entretien d'un ouvrage public , et qui
trouvent leur contrepartie directe dans des prestations fournies par le service ou dans
l'utilisation de l'ouvrage (8) ». Cette formule du Conseil d'Etat, faite sienne par le
Conseil constitutionnel (9), est dorénavant de jurisprudence constante. Elle emporte
des conséquences juridiques importantes puisque, prolongeant un filon ancien (10), le
juge décide que si les impositions relèvent du pouvoir législatif, les prix sont institués
et réglementés par des actes administratifs, même en dehors de toute habilitation
législative (11).
En outre, le régime financier des services publics payants comporte en général
d'importantes dérogations aux principes budgétaires et comptables (non-affectation,
caractère limitatif des crédits...).
Contrairement à l'impôt, le prix est dans un rapport étroit avec le service
leurs caractères respectifs sont fortement interdépendants.
public et
L'impôt, qui est le « prix économique (12) » naturel que les autorités publiques facturent
aux membres de la société pour payer les charges nées des services publics , voit son
régime tout entier dominé par la volonté de détacher son exigibilité de l'usage des services
publics , qui tirent de là leur apparente gratuité. Il est dû à raison des facultés contributives
(13), indifféremment de l'obtention de toute contrepartie par le redevable. La ventilation de
son produit par les procédures budgétaires est fonction de choix politiques et d'impératifs
économiques, et non de la nature des services . La relation entre le service public et la
contribution publique tend encore à se distendre, car si le financement des administrations
reste sa principale finalité (14), il n'en est pas la seule et exclusive (15).
En revanche, loin d'être vouées à décliner, les interactions entre le prix et le service
public se renforcent sous l'effet de facteurs internes et du droit communautaire. Alors que le
financement du service public est aujourd'hui une question d'importance majeure, les
prix deviennent une ressource non négligeable.
On retrouve des thèmes récurrents depuis près d'un demi-siècle, voire davantage, avec, à
présent, une obligation de résultat : réduction du déficit d'exploitation des entreprises
publiques, soumission complète de certaines aux règles du marché, par privatisation ou non,
pratique de la vérité des prix dans les services publics locaux (16), notamment dans
ceux où les investissements futurs seront les plus considérables (distribution d'eau,
assainissement, déchets). Toutes les administrations cherchent dans le prix des recettes
d'appoint (17).
Les bouleversements de la doctrine économique affectent le droit des activités assumées par
les personnes publiques, que leur diversification a imbriquées aux entreprises soumises à la
logique des marchés, et qui subissent maintenant un choc retour. Les services publics ,
qui avaient la prétention de remplacer le marché ou de le corriger, sont rattrapés par ses
exigences, dans la mesure où l'économie marchande devient la loi en droit européen et
international. Les agressions qu'en subit la conception française traditionnelle du service
public touchent évidemment surtout les services payants. L'évolution des techniques et les
phénomènes que l'on regroupe sous le terme de globalisation, relativisent le caractère
monopolistique de nombreux organismes publics , dans le domaine des transports, des
communications ou de l'énergie, où les effets de substitution sont de plus en plus faciles.
Sur quelques points forts le débat est pratiquement clos : l'existence de services publics
payants ne soulève pas d'objection de principe et le régime général de leurs prix est à peu
près fixé. En revanche, de larges zones d'incertitude subsistent, du fait de la multiplicité des
objets et objectifs des services publics et de la diversité des finalités poursuivies par la
tarification, qui suscitent des difficultés d'ajustement particulières avec le droit
communautaire.
Le service
public payant n'est pas anormal
Le service public payant n'entretient plus de querelles théologiques, même si pour telle
ou telle activité il peut y avoir controverse, et la jurisprudence donne du prix une définition
simple et stable.
Les conditions du service
public payant
Le pragmatisme l'emporte ici largement sur les principes généraux, dont on ne trouve guère
trace. Le statut financier réel d'un service public dépend d'abord de la nature des
prestations qu'il fournit et de données économiques concrètes.
L'introuvable principe de gratuité du service
public
Les fondateurs de la doctrine du service public n'ont pas fait de la gratuité un de ses
principes constitutifs. Hauriou et Duguit expriment des thèses qui tiennent davantage de la
doctrine politique que de l'analyse juridique. Rolland, écrivant pourtant après l'apparition des
SPIC ( services publics à caractère industriel et commercial), évoque pendant un certain
temps, d'une manière du reste peu convaincante, un principe de gratuité, dont il ne précise pas
la portée utile (18).
Si la gratuité n'est donc pas un principe central du service
un dérivé de règles consacrées.
public , elle n'est pas non plus
S'agissant de la continuité, il est certain que le financement par le prix constitue un aléa, dès
lors que, faute de marché solvable ou de la capacité d'un service à soutenir la concurrence,
ses ressources tarifaires risquent d'être insuffisantes. L'érection de certaines activités en
service public et leur financement fiscal, total ou partiel, sont clairement destinés à
garantir la permanence du service qui en a la charge, encore que des services
particulièrement indispensables (eau, électricité) soient des SPIC. On pourrait d'ailleurs
invoquer, en réponse, le principe de l'adaptation : le service qui est trop cher ou
insuffisamment attractif doit changer. Mais l'arbitrage entre continuité et adaptation appelle
des décisions politiques, au cas par cas, et ne peut pas être laissé aux mains de juges décidant
sur la base de règles générales.
L'égalité devant le service public explique le choix en faveur de la gratuité de nombre de
services publics , notamment celui de l'enseignement public . En réalité, plus que l'idée
d'égalité, c'est celle d'universalité (école obligatoire pour tous) qui a compté. L'égalité, qui est
davantage un principe d'équité, et l'universalité, qui est plutôt une notion économique surtout
reconnue en droit communautaire, n'emportent pas l'exclusion du prix , mais seulement des
aménagements du service , qui peuvent concerner son prix (19).
La gratuité ne trouve pas non plus un appui solide dans la Déclaration des droits de l'homme
et du citoyen de 1789. Son article 13, qui lie imposition et dépenses d'administration, est une
légitimation de l'impôt et définit le régime de la « contribution commune », sans condamner
d'éventuels prix , sujet qui n'était pas débattu dans le milieu politique d'alors. Le Conseil
d'Etat a donc justement conclu que « les principes généraux contenus dans la Déclaration des
droits de l'homme [...] ne font pas obstacle à ce qu'en application de l'article 5 de l'ordonnance
du 2 janvier 1959 les charges d'un service public déterminé soient financées par ses
usagers au moyen d'une redevance qui trouve sa contrepartie directe et proportionnelle dans
les prestations fournies par ce service (20) ».
De son côté, le Conseil constitutionnel avait refusé de lier la gratuité des voies publiques au
principe constitutionnel de la liberté d'aller et venir (21). Toutefois, la volonté de satisfaire
une obligation relevant des droits de l'homme, surtout de ceux de la nouvelle génération des
droits économiques et sociaux, a inspiré les autorités publiques lorsqu'elles ont décidé la
gratuité de certains services
publics
(22).
Aussi bien le juge n'a-t-il jamais fait allusion à un principe général de gratuité des services
publics , qui n'aurait eu aucun sens depuis l'apparition des services industriels ou
commerciaux, et a-t-il formellement décidé « que le moyen tiré de la violation d'un principe
de gratuité du service public administratif ne peut en tout état de cause être que rejeté
(23) ».
Au demeurant, la jurisprudence, qui reconnaît de longue date la compétence de
l'administration pour instituer des redevances pour service rendu (v. plus haut), contenait
déjà la négation implicite de tout principe général de gratuité du service public , dont la
portée minimale eût été d'exiger une loi pour l'établissement d'une rémunération.
L'interdiction de celle-ci ne peut donc provenir que de règles particulières, qui comportent
toujours, qu'elles soient constitutionnelles, législatives ou jurisprudentielles, de notables
dérogations.
Ainsi « l'organisation de l'enseignement public et laïque à tous les degrés » est proclamée
comme étant un devoir de l'Etat par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946,
maintenu en vigueur par celui de la Constitution du 4 octobre 1958. Le juge a fait une
application nuancée de cette disposition. S'il condamne les paiements dans l'école élémentaire
(24), il n'a cependant pas condamné toute forme de participation financière des étudiants au
budget des établissements d'enseignement supérieur (25).
La gratuité d'autres services ou équipements publics est régie par la loi. On citera, par
exemple, les vaccinations obligatoires ou l'usage des autoroutes « en principe » (Code de la
voirie routière, art. L. 122-4), ou encore des ponts (26) (loi du 30 juillet 1880).
Mais c'est la jurisprudence qui donne à la gratuité sa signification juridique la plus générale.
La condition économique et son interprétation jurisprudentielle
Si la gratuité est une option politique quasiment discrétionnaire, la tarification est dépendante
d'un préalable économique : il faut que le service public ait une activité qui consiste à
produire des biens ou des services pouvant être fournis séparément à des usagers dûment
individualisés (27), en un mot qu'il soit fournisseur de prestations divisibles.
Ce constat de bon sens, qui ne fonde nul principe de gratuité, est utilisé par le juge pour traiter
un problème de répartition des compétences entre le législateur et l'autorité administrative.
En effet, la tradition républicaine avant 1958 et l'article 34 de la Constitution depuis réservent
au premier l'institution des impositions et la définition de leur régime. A contrario, les recettes
non fiscales peuvent, sauf s'il en est disposé autrement, être établies par le pouvoir
réglementaire. Lorsque le juge décide qu'il ne peut être créé de rémunération par voie
administrative, ce n'est pas par référence à une règle de gratuité, mais pour incompétence, du
fait que la somme en cause est en réalité une imposition qui rentre dans les matières
législatives.
Dans pratiquement tous les cas où la rémunération est illégale, le législateur peut créer une
imposition, en reprenant tel quel le dispositif administratif irrégulier (28). L'interdiction ou
l'inexistence d'un prix n'est donc pas synonyme de gratuité, en termes strictement
financiers.
De nombreux services publics , dont la production a un caractère global ou collectif n'ont
pas de véritables usagers. Les personnes qui sont la cause ou l'objet de leur activité forment
un groupe plus ou moins indifférencié de bénéficiaires (29), d'administrés ou d'assujettis
(30). Les économistes parlent à leur propos de services collectifs, de biens publics ou
encore de biens collectifs, pour lesquels le prix est impossible ou en tout cas ne permet pas
d'assurer une fonction normale d'inclusion-exclusion par rapport aux services dispensés. Il
va de soi que les services qui ont une vocation d'assistance sont par nature gratuits (31).
La jurisprudence a en conséquence élaboré le syllogisme suivant : comme un service
collectif n'a pas d'usagers, toute somme d'argent demandée à une personne qui est en relation
avec lui ne peut être qu'une imposition, dont la création est réservée au législateur.
Si l'idée directrice de ce critère est simple et convaincante, sa mise en oeuvre nécessite de
délicates appréciations de fait, car s'il y a des services dont le caractère collectif est évident
et qui n'ont jamais suscité de contentieux, il en est d'autres où la ligne de partage entre le
simple bénéficiaire et l'usager est plus difficile à tracer et résulte d'une jurisprudence assez
empirique dont le juge se réserve la maîtrise de l'évolution.
Les services de lutte contre l'incendie, établis dans l'intérêt général de la population,
fournissent un service collectif et ne peuvent donner lieu à demande de paiement d'un prix
lorsqu'ils interviennent sur un sinistre (32). Cette jurisprudence ancienne reste d'actualité. «
La mission de lutte contre les incendies de forêts confiée aux corps de sapeurs-pompiers
forestiers [...] est exercée non dans le seul intérêt des propriétaires sylviculteurs de ces trois
départements, mais dans l'intérêt général de la population ; qu'ainsi, la contribution imposée
par le décret du 5 mai 1980 aux associations syndicales de propriétaires ne correspond pas à la
simple rémunération d'un service rendu aux dites associations, ni même aux propriétaires à
titre individuel, et ne saurait être mise à la charge de celles-ci que par la loi (33). »
Les services de police font l'objet des mêmes raisonnements. Le Conseil d'Etat a exclu que
l'Etat puisse se faire rembourser par les exploitants d'autoroutes des dépenses de la
gendarmerie (34), ou les coûts de la police de la navigation aérienne (35), lorsque ces
dépenses sont exposées dans l'intérêt général des usagers des autoroutes ou des transports
aériens, qui sont des tiers par rapport au service de police et non les « usagers » de celui-ci.
La gratuité par nature des services collectifs n'est cependant pas absolue et deux précisions
s'imposent (36).
D'une part, l'administré en contact avec un tel service peut devoir verser une imposition :
droits de timbre sur des documents de police (carte nationale d'identité, passeport), sur les
actes de la vie judiciaire, etc. Les nombreux droits pour frais de contrôle dus à l'occasion des
inspections et vérifications faites par les services de police sur certaines activités
économiques sont également des impositions, même si l'administration aime à les présenter
comme une compensation des charges qu'elle assume dans l'intérêt même des organismes
contrôlés (37).
D'autre part, les prestations spéciales fournies par le service de police, et qui ne rentrent pas
dans ses missions obligatoires, peuvent donner lieu à rémunération : services de veille dans
les cinémas et théâtres, car l'obligation faite aux exploitants des salles de spectacle d'avoir des
pompiers exercés ne rentre pas dans les missions obligatoires des services publics , qui
peuvent donc faire rémunérer leurs vacations (38) ; services d'ordre à la demande (39).
Les services de secours, notamment en montagne, sont de plus en plus enclins à facturer
leurs interventions. Devant les coûts croissants supportés par les services publics , la
gratuité tend à faire l'objet d'aménagements, que le législateur a expressément autorisés (40)
suivant en cela une jurisprudence déjà assez libérale (41).
Le juge semble prêt à aller plus loin et à considérer que certains services de police peuvent
avoir, même pour leurs fonctions obligatoires et naturelles, de véritables usagers à qui un
prix peut être réclamé. Ainsi, à l'occasion du contrôle de la navigation aérienne, domaine
très riche en contentieux des redevances, après avoir affirmé très classiquement que la police
de l'espace aérien et la sécurité des aéronefs sont assurées « dans un but d'intérêt général », il
ajoute que « la mission de contrôle d'approche est exercée principalement et directement au
profit des exploitants des aéronefs guidés à leur arrivée et à leur départ ; qu'en conséquence le
gouvernement pouvait légalement instituer, pour financer ce contrôle et en contrepartie du
service rendu, une redevance mise à la charge des exploitants d'aéronefs » (CE Ass. 21
octobre 1988, SNTA, préc.). Certes ces entreprises présentent des traits particuliers qui
justifient une participation, qu'il aurait été facile de prévoir par la loi, quitte à ce qu'elle valide
rétroactivement les redevances, si l'on souhaitait que l'administration n'ait pas à restituer
celles déjà encaissées.
Deux lectures sont possibles. L'une consiste à considérer que dès lors que le service de
police est en rapport direct avec des personnes qui peuvent toutes être identifiées et qui sont
solvables, il perd son aspect « collectif » pour devenir un prestataire de services . Il faudrait
prendre garde à ce qu'une segmentation excessive des fonctions de police ne conduise pas à
multiplier ces cas et à y vider de son sens « l'intérêt général ». L'autre lecture interprète cet
arrêt comme annonçant une meilleure séparation entre les activités de « régulation » et les
activités d'opérateur, distinction de plus en plus communément admise en droit comparé et
européen et qui a probablement un bel avenir. Mais outre que cela débouche généralement sur
la recommandation de ne pas faire cohabiter les deux fonctions dans le même organisme, il
n'est guère réaliste de vouloir séparer le contrôle d'approche et le contrôle de navigation, qui
relève aussi des opérateurs.
En réalité, l'administration française chargée de la navigation aérienne a trouvé là une vache à
lait, qui, comme l'a plusieurs fois relevé la Cour des comptes, donne lieu à d'incontestables
abus, qu'on limiterait en revenant à une meilleure orthodoxie budgétaire, dont le Conseil
d'Etat ne devrait pas faciliter la méconnaissance en tordant, à son tour, certains concepts
fondamentaux comme ceux d'usagers et de rémunérations. Il semble d'ailleurs être revenu à
des conceptions plus traditionnelles dans ses arrêts récents sur ce sujet (CE Sect. 10 février
1995, 1re et 2e esp., préc.).
De subtiles nuances traversent donc la conception du service public . Un périmètre est
tracé par les fonctions obligatoires de l'administration, au-delà desquelles se trouve une zone
indéterminée, où elle agit presque comme un prestataire ordinaire. Le juge ne semble pas en
avoir tiré de conséquences précises sur la qualification du service . Il est réticent à introduire
ici une idée de commercialité, qui n'est pourtant pas tout à fait absente dans les faits.
En présence de services publics divisibles les pouvoirs publics peuvent définir le
régime financier selon une gradation qui va de la gratuité complète à une vérité des prix
intégrale, en fonction de considérations d'ordre politique, social ou économique qui ne seront
pas étudiées ici. Le choix peut être global et national (enseignement public ). Il peut être très
général, sans être impératif ; la distribution d'eau potable est normalement un service
public industriel et commercial fonctionnant selon la vérité des prix , mais si la commune
dispose de ressources suffisantes, elle peut le rendre gratuit, auquel cas il sera administratif (v.
plus loin). Pour d'autres services le choix est laissé à chaque exploitant et donne lieu à des
pratiques très diverses ; le service de ramassage et d'élimination des déchets peut être
financé par les ressources budgétaires générales de la collectivité locale, bénéficier du produit
de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères ou d'une redevance pour service rendu.
L'évolution récente semble rétrécir les marges de manoeuvre des administrations, qui sont
tentées d'utiliser le prix chaque fois qu'elles le peuvent, pour desserrer la contrainte fiscale,
et qui subissent des obligations communautaires qui limitent les financements mixtes, fiscaux
et tarifaires.
Le prix du service
public : une catégorie financière banale
Le parasitage terminologique (42) laisse croire que cette catégorie financière est mal
déterminée. Il n'en est rien, ainsi qu'il a été dit en introduction. Elle n'est toutefois pas d'une
parfaite simplicité.
Il convient tout d'abord de préciser que les budgets publics comportent des recettes ayant
les caractéristiques des prix , mais qui ne sont pas la contrepartie d'un service public :
ressources tirées de l'exploitation domaniale (loyers, vente de bois, etc.), produits des
aliénations (vente d'immeubles, de biens meubles usagés), revenus de placements financiers
(intérêts), de droits de licence, brevets ou de propriété intellectuelle (43).
Il faut ensuite souligner l'infinie variété des régimes de prix des services publics ,
suivant le statut du service , personne publique administrative, délégataire privé, entreprise
publique, catégorie elle-même hétérogène, organisme privé gestionnaire d'un service
public sans délégation, etc.
La jurisprudence a eu surtout à répondre à deux séries de questions, dont les réponses donnent
une certaine unité au régime des prix du service public : quelle est l'autorité
compétente pour les instituer et quelles sont leurs modalités de gestion et de contentieux ?
Une contrepartie financière instituée par l'administration
Une définition du prix
Après s'être longtemps gardé de donner une définition du prix , le Conseil d'Etat s'y est
heureusement essayé en 1958, alors que la nouvelle constitution rendait urgente la distinction
avec les impositions de toutes natures (CE Ass. 21 novembre 1958, SNTA, préc.).
La définition repose sur deux conditions essentielles : le redevable doit être l'usager et il doit
exister une équivalence entre le prix demandé et le service rendu.
Lorsque le redevable n'est pas l'usager, pris en cette qualité, la somme payée n'est pas un
prix . Cela se constate soit dans les services collectifs qui n'ont pas d'usagers, soit dans les
circonstances où le fait générateur n'est pas l'usage du service (44). Ainsi, la redevance
pour l'enlèvement et la destruction des ordures ménagères, dont l'assiette est le nombre de
mètres cubes d'eau potable consommés et facturés par la régie des eaux à ses abonnés, ne peut
être considérée comme une redevance pour service rendu car y sont assujettis « l'ensemble
des abonnés au service de l'eau et non les seuls usagers des services d'enlèvement et de
traitement des ordures ménagères (45) ».
Le second élément constitutif du prix est l'équivalence avec le service rendu. La
condition est clairement exprimée dans la jurisprudence qui la met en oeuvre avec une
certaine circonspection. L'équivalence est présumée dans les relations contractuelles, qui
fondent généralement l'obligation de payer le prix d'un service public , même
administratif. Dans la majorité des affaires le juge n'a pas d'exigence comptable très détaillée
et recherche seulement l'erreur manifeste. Il s'en tient à une appréciation d'ensemble en
constatant que les requérants n'établissent pas qu'un prix a été fixé à un niveau tel que son
produit ne soit pas proportionné au coût du service rendu aux usagers (46). Il ne
disqualifie le prix en imposition que lorsque l'écart entre le coût du service et les sommes
demandées lui paraît excessif (47).
Il semble cependant devenir plus exigeant dans ses références régulières à l'idée de
proportionnalité (48).
Il vérifie avec attention, et de façon très concrète, les éléments pris en compte pour calculer
les coûts dont la couverture est demandée à l'usager. Il recherche s'il n'y a pas eu un
détournement de procédure financière qui aboutit à faire supporter à l'usager des charges qui
n'ont pas à être imputées au service pour lequel une rémunération est, par ailleurs,
légitimement demandée, parce que ces dépenses soit relèvent d'une fonction qui ne peut
donner lieu à tarification (49), soit n'ont aucun rapport avec le service en cause (50).
L'autorité administrative compétente
L'autorité administrative compétente pour instituer le prix varie selon la collectivité
concernée. Pour l'Etat, il faut un décret en Conseil d'Etat, pris sur le rapport du ministre des
Finances et du ministre intéressé (art. 5 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 relative aux lois de
finances). La lourdeur de cette procédure, pour des sommes parfois de faible importance,
conduit fréquemment à ne donner qu'un cadre général par décret et à renvoyer à des arrêtés
ministériels le soin de fixer les tarifs. Dans les collectivités locales le pouvoir appartient à
l'assemblée délibérante, qui peut le déléguer au maire (art. L. 2122-22. 2° du Code général des
collectivités territoriales) ou à la commission permanente du conseil général ou du conseil
régional (51).
Le législateur est exceptionnellement compétent en vertu d'autres dispositions
constitutionnelles. Lorsque l'Etat définit le régime d'une ressource des collectivités locales, il
touche à leur libre administration (52). La loi instituant une nouvelle catégorie
d'établissements publics range généralement les rémunérations de services rendus dans la
liste des ressources budgétaires et laisse au conseil d'administration le soin de les établir et
réglementer (53).
La gestion et le contentieux des prix
A la différence des impôts, la liquidation des prix relève de l'administration prestataire des
services . Elle tient le fichier des usagers, assure sa mise à jour, collecte des informations
relatives aux consommations, calcule le montant dû par chacun, établit la facture et charge le
comptable d'assurer le recouvrement du produit : services de l'eau, de l'assainissement, des
ordures ménagères lorsqu'ils sont financés par une redevance, cantines scolaires, écoles de
musique... Cela nécessite éventuellement la mise en place de moyens techniques permettant
de mesurer l'importance du service reçu par chaque usager : compteurs, poubelles de
volumes différents, vente de sacs plastiques comportant une identification particulière... Dans
d'autres services l'usager paye chaque prestation comptant ou acquiert un titre
d'abonnement : transports publics , poste, téléphone, entrées dans des musées, théâtres,
piscines, parcs de stationnement...
Ces coûts d'administration sont un élément important pour arrêter les modalités de la
tarification (annuelle, trimestrielle ou mensuelle), à quoi s'ajoutent les considérations relatives
à la trésorerie de l'organisme bénéficiaire. Nombre de communes ou de groupements hésitent
à établir la redevance d'enlèvement des ordures ménagères et préfèrent maintenir la taxe gérée
par les services fiscaux.
Les prix font l'objet de traitements comptables et budgétaires qui sont largement
dérogatoires et qui sont, comme on le dira ci-après, un élément important de leur définition
même. Dans la plupart des cas ils donnent lieu à une affectation budgétaire, qui permet de
rapprocher le produit et les charges du service . Ce résultat est atteint chaque fois que le
service est doté de la personnalité juridique, soit sous forme de délégation, soit sous forme
de société d'économie mixte ou de régie personnalisée. L'individualisation peut n'être que
comptable, par la création d'un budget annexe. Le cadre comptable des services industriels
et commerciaux est aligné sur les principes du plan comptable et vise à favoriser la pratique
de la vérité des prix (instruction comptable M 49 pour le service de l'eau). S'agissant de
l'Etat, l'ordonnance du 2 janvier 1959 prévoit des procédures d'affectation particulières, en
premier lieu les budgets annexes. L'assimilation des prix à des fonds de concours (art. 19)
est utilisée d'une manière systématique chaque fois qu'un décret institue une redevance pour
service rendu au profit d'un service de l'Etat. Elle conduit à rattacher le produit au budget
de ce service en y ouvrant, par arrêté, un crédit d'égal montant.
L'individualisation des comptes du service n'est évidemment pas sans conséquences sur son
mode de gestion. Elle favorise la logique commerciale et le souci de maîtriser les coûts par
une comptabilité analytique. Ces effets induits de la tarification sur la gestion même du
service sont parfois présentés comme une justification décisive de l'établissement de prix .
La Cour des comptes observe pourtant régulièrement que les pratiques réelles sont loin de
correspondre aux principes de management affichés par les responsables locaux (54).
Le contentieux des prix présente peu d'originalité, si ce n'est la relative faiblesse des
réclamations, ou du moins de celles qui débouchent devant les juridictions, en comparaison de
la masse du contentieux fiscal. Cela tient-il à une légitimité et visibilité des prix meilleures
que celles des impôts ? La plupart des affaires se règlent-elles à l'amiable du fait des données
objectives qui sont entre les mains des deux partenaires (55) ?
Le tarif, qui est en règle générale contenu dans un acte administratif (56), est susceptible
d'être déféré au juge administratif par la voie du recours pour excès de pouvoir (57), pour
incompétence (58), violation du principe d'égalité, non-respect des règles relatives à la vérité
des prix (59). L'établissement du prix d'un service public local peut donner lieu à
un déféré préfectoral, au recours d'un usager ou éventuellement d'un contribuable communal
(60).
Les litiges individuels entre l'usager et l'administration, portant sur l'exigence d'un prix ou
son montant, se distinguent nettement du contentieux fiscal. Voilà un autre enjeu juridique de
la qualification des prix . La juridiction compétente est celle qui a vocation à connaître des
relations entre l'usager et le service et dépend, par conséquent, de la nature de celui-ci,
administrative ou industrielle et commerciale. Quelques difficultés sont venues des hésitations
de la jurisprudence sur la nature de certains services payants, dont il sera question cidessous. Lorsque la gestion est assurée par une entreprise délégataire, les relations qu'elle
entretient avec ses usagers ou des tiers suivent un régime contractuel de droit privé (61).
Concilier prix et service
public
Moins que d'une incompatibilité de nature entre service public et prix , les difficultés
proviennent de la multiplication des objectifs qui sont poursuivis au titre de chacun de ces
termes. Leur conciliation nécessite un choix « multi-critères » afin que les finalités respectives
du prix (couvrir les coûts, réguler l'accès au service , optimiser les prestations
économiques, etc.) et du service public soient en cohérence instrumentale.
Or, le financement des services publics combine le plus souvent l'impôt et le prix , qui
sont deux modes de régulation de la production et de la consommation correspondant à des
logiques économiques en apparence foncièrement opposées, alors qu'il y a, en fait, continuité
et non rupture de l'un à l'autre (62).
Le prix est révélateur de la diversité des activités des services publics et des
instruments financiers nécessaires pour les faire fonctionner, non parce qu'il introduit une
variante de financement par rapport à l'impôt, mais parce qu'il comporte lui-même une
multitude de formes qui expriment la grande variété des prestations publiques et des rapports
qui en résultent avec les usagers. Il est un élément même du service public , de son
accessibilité, de l'importance des prestations qu'il accorde, de sa capacité d'action, et il doit
donc être correctement articulé avec les fonctions et le régime du service public . Bref, le
prix est par nature fortement imbriqué dans les problématiques du service public .
Trois questions valent plus particulièrement que l'on s'y arrête : la qualification du service
public par le prix , l'imperfection des prix publics et les modalités de la tarification,
avec une attention spéciale apportée au principe d'égalité.
Prix et qualification du service
public
Le prix joue un rôle important dans la qualification des services industriels et
commerciaux, comme dans la définition des délégations de services publics .
La distinction entre services
commerciaux
publics administratifs et services
publics industriels ou
• Le prix est une composante nécessaire du service industriel ou commercial, qualité qui
est par définition exclue en cas de gratuité. Il donne sa substance au contrat qui lie le service
à l'usager ; il est le signe de l'échange marchand et favorise les méthodes de gestion proches
de celles des entreprises privées. Il n'est cependant pas la condition d'une gestion privée du
service public (63).
Le niveau du prix a une certaine portée juridique. Le SPIC couvre en principe ses coûts de
production par les recettes tarifaires. Toutefois, des prix très insuffisants pour obtenir ce
résultat ne changent en général pas la nature d'un service , si son objet est naturellement
industriel et commercial (transports publics par exemple) ; la faiblesse du prix dévoile
cependant parfois la nature administrative (64).
Le critère jurisprudentiel du SPIC - la similitude des modes de gestion avec ceux d'une
entreprise privée -, quoique ayant beaucoup vieilli, est susceptible de s'adapter aux
changements économiques et juridiques, en introduisant l'idée de marché et en posant qu'un
tel service doit donc être soumis aux mêmes modalités de financement et de gestion, y
compris aux règles de concurrence, que les entreprises privées.
Voilà qui devrait départager ces services avec les services administratifs, qui peuvent
conserver un statut de droit public , parce qu'ils sont dans un autre contexte économique, et
qui légitimerait la distribution des compétences juridictionnelles.
Toutefois, la notion de concurrence n'offre pas non plus de critère univoque, puisqu'elle
existe, en fait, pour de nombreux services dont la nature administrative n'est guère
contestée (hôpitaux, établissements d'enseignement) et est impraticable dans des SPIC (eau,
ordures, assainissement, réseaux câblés). La commercialité comporte donc sa propre part de
subjectivité, et s'apprécie, notamment en droit communautaire, par l'intermédiaire de notions
complémentaires, comme la production de biens et de services marchands. Ces réalités sont
mouvantes et se laissent mal enfermer dans des formules définitives.
• Le prix n'est pas réservé aux SPIC et les services administratifs perçoivent
fréquemment des rémunérations. Mais, dès que la part de celles-ci devient prépondérante, la
tentation est de changer la qualification du service . L'histoire récente montre de nombreuses
variations sur ce thème.
Alors que le Tribunal des conflits avait fait de l'abonnement téléphonique un contrat
administratif avec un service administratif, en tenant compte du régime semi-fiscal des
redevances dues par l'usager (65), l'article 25 de la loi du 2 juillet 1990 relative à
l'organisation du service public de la poste et des télécommunications dispose que les
relations de La Poste et de France Télécom avec leurs usagers, fournisseurs et tiers, sont
régies par le droit commun.
Parce que les abattoirs étaient censés exercer une mission d'hygiène et de santé publique le
contentieux des redevances payées par leurs usagers était conservé par le juge administratif,
jusqu'à ce que le Tribunal des conflits dise que la loi du 8 juillet 1965 a entendu faire de ces
établissements des SPIC (66). La nature des services de ramassage et d'élimination des
déchets fut également flottante. S'ils sont administratifs quand ils sont financés par la taxe, la
tendance est de considérer qu'ils sont industriels ou commerciaux quand ils prélèvent la
redevance pour service rendu (67).
En dépit d'un mode de gestion et de règles comptables qui l'assimilent au service de l'eau et
en font financièrement un SPIC, le service de l'assainissement supporte le souvenir de la
vieille doctrine voulant qu'il ait essentiellement une fonction de police. Le Conseil
constitutionnel reconnaît dans la redevance d'assainissement un prix (68).
• L'EPIC présente une image brouillée. S'il a généralement des activités de nature industrielle
ou commerciale, son statut peut résulter de la volonté du législateur ou de l'administration de
doter l'établissement de taxes parafiscales (69), lesquelles, en vertu de l'article 4 de
l'ordonnance du 2 janvier 1959, ne peuvent être affectées qu'à des EPIC (70). Les ressources
tarifaires servent à déterminer la nature des services au sein des établissements publics .
L'organisation comptable et financière de l'EPIC, conçue pour des fonctions commerciales,
est la même quelle que soit la nature des ressources. Ni les catégories juridiques, ni les
systèmes financiers, ni les logiques économiques ne trouvent leur compte dans ces
constructions artificielles.
Le paiement d'un prix et la qualification de la délégation de service
public
Depuis que le droit public français a reçu cette expression de délégation de service
public , au début de la décennie 1990, elle a suscité un intérêt doctrinal considérable et de
nombreuses difficultés de mise en oeuvre (71). L'une d'elles fut de savoir si l'expression, et
partant le régime juridique qui s'y attache, s'appliquent ou non à toutes les conventions par
lesquelles une personne publique charge une autre personne de la création ou/et de la gestion
d'un service public .
Le Conseil d'Etat a tranché le débat en affirmant que constitue un marché public et non une
délégation la convention par laquelle un organisme public charge une autre personne de la
gestion d'un service public moyennant une rémunération payée par le cocontractant
public (72).
La délégation suppose que le délégataire se rémunère par un prix payé par les usagers et
que la relation financière soit directe entre le gestionnaire et l'usager, sans détour par le
budget d'une collectivité territoriale (73).
L'imperfection des prix
publics
Les économistes ont des théories très élaborées pour définir le bon prix d'après les
fonctions qu'ils lui assignent (par exemple Claude Gruson, José Cohen, préc.). Une condition
minimale pour donner sa pleine signification à ce terme est qu'on puisse le rapprocher du coût
du produit ou du service échangé, ce qui suppose une certaine unité économique, une «
entreprise », décrite dans des comptes. Or cela manque très souvent dans le cas des services
publics . Le degré d'achèvement de cette condition nous paraît être un excellent indicateur
pour distinguer les caractères fondamentaux des différents prix .
Finalités de service
public et caractéristiques des prix
La mission de service public peut correspondre à de nombreuses finalités qui sont dans
un rapport plus ou moins direct avec le régime financier de l'organisme qui assume cette
mission. Pour sa part, un prix peut avoir plusieurs finalités qui doivent être conciliées entre
elles et ajustées aux objectifs du service . Est-on assuré que les procédures de la décision
publique et les mécanismes des choix budgétaires poussent à faire les analyses appropriées ?
Seuls des gestionnaires disposant d'une réelle autonomie et d'une bonne information peuvent
préparer le choix final, qui restera souvent politique.
Une redevance d'enlèvement des ordures ménagères fixée à un niveau élevé responsabilise le
consommateur, le dissuade de produire des déchets, permet au service de réaliser les
coûteux investissements nécessaires pour assurer une élimination respectueuse de
l'environnement. Mais, comme l'ensemble de la population doit payer ce prix , on peut aussi
vouloir que son montant demeure modéré, ce qui a de surcroît l'avantage de ne pas inciter les
redevables à vouloir échapper au paiement en se débarrassant des détritus de manière
sauvage.
Des raisonnements analogues peuvent être tenus pour le service de l'eau ou de
l'assainissement. La tarification des transports urbains met devant des choix complexes,
combinant l'accès au service , la volonté d'attirer de nouveaux clients pour limiter la
circulation automobile, des considérations sociales et le besoin de ménager le recours aux
subventions d'équilibre versées par la collectivité publique, etc. La SNCF subit des
contraintes tarifaires dans un but social et d'aménagement du territoire, qui lui font pratiquer
des péréquations de tarifs entre les lignes. Or, la gravité même de la situation financière
résultant de la sous-tarification des services impose des réductions brutales de coûts, qui se
traduisent par des fermetures de lignes. Du reste, personne ne connaît, car personne n'a
calculé, les véritables bénéfices que la politique d'aménagement du territoire a pu tirer de ces
politiques tarifaires. Les relations aériennes posent des problèmes similaires. La réforme des
télécommunications impose un rigoureux cloisonnement comptable pour réduire les
subventions croisées entre services dans « une activité de multiproduction (74) ».
Une des distinctions majeures dans les prix des services publics est celle qui se fonde
sur le degré de sophistication du calcul pour déterminer leur montant.
La plupart des « redevances » et « rémunérations » ont un objet purement budgétaire, on
pourrait même dire « fiscal » au sens ancien, et sont calculées de manière approximative, à
partir de simples données budgétaires. Ce sont des prix moyens, obtenus à partir des
dépenses budgétaires, souvent assez grossièrement délimitées, comme l'ont montré plusieurs
affaires citées ci-dessus ; ils sont souvent présentés comme des remboursements, atténuations
de charges, participations, etc. La dimension économique est pratiquement inexistante ; les
modulations ont un objet social ou sont décidées sur des bases très sommaires.
Les véritables prix supposent un certain calcul économique, appuyé sur une information
comptable pertinente et détaillée. Ils nécessitent une autonomie financière réelle et une taille
critique permettant de faire des scénarios économiques. Ces conditions sont plus aisément
remplies dans les entreprises publiques, parce qu'elles ont une unité économique et
comptable. Il leur manque cependant souvent l'autonomie de décision et une authentique
responsabilité financière, surtout lorsqu'elles assurent un service public , encore que cette
dernière notion s'effiloche dans le vent de la déréglementation européenne et qu'une
formidable remise en ordre soit en cours. D'incontestables progrès ont aussi été réalisés ici par
les collectivités locales (75).
Le critère du service public tend alors à se décliner ainsi : c'est l'activité que l'entreprise
n'aurait pas choisie si elle avait eu une pleine liberté de comportement. La charge qu'elle
assume à ce titre génère des pertes qui, dans la logique traditionnelle, amènent l'Etat ou une
autre collectivité à verser une compensation financière (76).
On rencontre à cette occasion toute la problématique des aides publiques accordées aux
entreprises, avec la distinction de plus en plus ténue entre les entreprises ordinaires et les
entreprises de service public . N'a-t-on pas pu soutenir que les aides économiques au titre
de l'aménagement du territoire, de la création d'emplois, voire pour les prospections à
l'exportation, sont la contrepartie de charges de service public ou en tout cas d'intérêt
général ?
Précisément, on sait de moins en moins bien distinguer les charges de service public et
les charges d'intérêt général imposées aux entreprises. De nombreuses obligations, en droit du
travail, de l'environnement, de l'urbanisme, même en droit commercial, de multiples
servitudes de nature diverse, les normes sanitaires, d'hygiène, etc., imposent aux personnes
privées, dans un but d'intérêt général, des coûts considérables, en exigeant des comportements
que ces personnes n'auraient pas eus spontanément.
Diversité et « impureté » des prix
budgétaires et comptables
publics : l'indispensable adaptation des règles
Malgré son manque de rigueur, le foisonnement terminologique est très révélateur de la
variété des régimes et des objectifs des rémunérations exigées par les services publics . Le
prix qui est établi par un acte d'une autorité publique baigne dans une ambiance politique et
un environnement de puissance publique, qui déteignent inévitablement sur son régime et lui
ajoutent des traits peu « commerciaux ». Sa nature financière l'intègre dans un système
budgétaire et comptable qui, au moins aussi sûrement que les caractéristiques du service
public , lui imprime certains de ses traits dominants.
C'est pourquoi, pour comprendre les prix publics , il est tout aussi important d'avoir à
l'esprit ce contexte budgétaire que la nature du service ou des prestations fournies, bien qu'il
y ait entre les deux, Dieu merci, des correspondances.
• Certaines impositions sont des prix imparfaits. Quoiqu'elles ne remplissent pas les
conditions qui en feraient des rémunérations de services rendus, elles ont été clairement
établies pour faire payer à certaines personnes le coût d'un service public qui est censé
leur profiter : les frais de contrôle, déjà évoqués, les participations en matière d'équipements
publics , la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, la redevance télévision, etc. Leur
attribuer une dénomination commune, taxe par exemple, n'a ni sens, ni utilité, puisqu'elles
n'en tirent aucune unité. Leur distance par rapport à l'impôt ordinaire se traduit généralement
par une affectation budgétaire.
• Beaucoup de « redevances » sont établies d'une manière très administrative, sans calcul
précis des coûts du service , sans que les gestionnaires de celui-ci soient directement
concernés par l'existence et le produit de ce qui n'apparaît, en définitive, que comme une
recette accessoire ; les droits universitaires sont un bon exemple.
Dans la même catégorie, mais un degré au-dessus, on rencontre les prix qui sont
explicitement présentés comme étant la contrepartie d'une prestation, dont le redevable peut
avoir le sentiment de payer le vrai prix , alors qu'on en est, en fait, très éloigné : droits
d'entrée dans les musées, les théâtres, les écoles et conservatoires de musique, etc.
Les nuances tiennent au degré d'autonomie financière du service , c'est-à-dire à sa plus ou
moins grande dépendance par rapport au budget général. Chaque fois que ce dernier reste
ouvert, le prix est sous-évalué (77).
• La catégorie suivante comprend principalement les prix des SPIC en régie. L'adéquation
coûts- prix est mieux assurée, l'individualisation comptable existe, la commercialité a des
répercussions importantes sur le régime du service . Les décisions sur le prix restent dans
l'ensemble contenues dans des actes administratifs, et ces prix peuvent ne pas couvrir
l'intégralité des coûts, lorsque le service dispose d'autres recettes budgétaires, mais ils
s'inspirent de calculs économiques et sont le pivot du système de gestion. On trouve là les
transports urbains, les services d'eau et d'assainissement, le chauffage urbain (78), etc.
• La dernière catégorie est celle où le prix du service public ne se distingue
pratiquement plus de celui d'une entreprise ordinaire : services délégués, entreprises
publiques gérant un service public (EDF-GDF). Le gestionnaire peut éventuellement
bénéficier d'aides provenant d'un budget public , mais dans des conditions analogues à
celles d'une entreprise privée. Parfois la mission de service public n'a plus qu'un aspect
résiduel (Air France).
A ce stade-là il faut de sérieuses dérogations aux grands principes budgétaires. Car s'il n'y a
guère d'incompatibilité de nature entre prix et service public , il y en a avec la gestion
budgétaire traditionnelle. Deux changements fondamentaux doivent être apportés à celle-ci
quand il est question de prix . D'une part l'individualisation économique et comptable du
service suppose l'abandon des principes d'unité et de non-affectation des recettes aux
dépenses. D'autre part l'impératif de calcul des coûts appelle une adaptation de la
nomenclature des comptes et la tenue d'une comptabilité patrimoniale, même élémentaire.
Dès qu'on s'éloigne de la catégorie des redevances administratives, ces aménagements tendent
à se développer ; la volonté de pratiquer une saine gestion tarifaire impose l'adaptation
comptable, qui à son tour pousse à affiner le calcul des prix .
Le niveau des prix : vérité et semi-vérités
L'autorité publique qui institue le prix du service public dispose d'une très grande
latitude dans la fixation de son niveau. Si jusqu'au milieu de la décennie 1980 les prix de
certains services publics , notamment de l'eau, faisaient l'objet de mesures de blocage ou
de réglementation, les administrations bénéficient aujourd'hui de la liberté qui a été accordée
aux entreprises ou, plus précisément, elles sont pour l'essentiel soumises à la même
réglementation des prix , qui se veut d'essence libérale, contenue dans l'ordonnance du
1erdécembre 1986, modifiée (79).
Au vu du contentieux connu, la tension entre prix et service public naît rarement de
l'excès des prix . Aucune disposition n'interdit au service public de réaliser des
bénéfices ; son caractère « non lucratif » provient de l'absence de distribution du profit à des
associés, mais non d'une absence de surplus (80).
Au contraire, la pente naturelle des autorités publiques est de fixer les prix à un niveau trop
bas, en arguant de la mission de service public . Or la législation nationale, pour des
raisons principalement budgétaires et le droit communautaire pour des motifs d'ordre
économique, sont de plus en plus exigeants pour que soit atteinte une « vérité des prix ».
• Le principe juridique de vérité des prix a une portée limitée, puisqu'il ne vaut que pour les
SPIC des communes et de leurs groupements (81).
Les articles L. 2224-1 à 2224-4 du Code général des collectivités territoriales réglementent les
prix des services publics à caractère industriel ou commercial, exploités en régie,
affermés ou concédés par les communes ou leurs établissements publics de coopération, en
interdisant à la collectivité de rattachement de prendre en charge dans son budget propre des
dépenses au titre de ces services .
La réglementation comptable a précisé ces obligations par des instructions relatives
notamment au service de l'eau et de l'assainissement, qui transposent assez fidèlement le
plan comptable général. La jurisprudence a à la fois prohibé les prix qui ne tiennent pas
compte de l'ensemble des charges du service , y compris les amortissements (aff. Bocholier,
préc.) et la pratique de prix destinés à couvrir les frais d'autres services publics (82).
Toutefois, le législateur a sensiblement atténué la dureté de ses exigences en permettant au
conseil municipal ou au conseil de l'EPCI de décider une prise en charge des dépenses d'un
SPIC, lorsque celle-ci est justifiée (83). En outre l'interdiction n'est pas applicable aux
services d'eau potable et d'assainissement dans les collectivités où la population ne dépasse
pas trois mille habitants. Enfin, la jurisprudence a joué sur la qualification du service
public en faisant échapper à cette obligation ceux qui sont administratifs (84).
Cette obligation de vérité des prix ne s'impose pas aux services publics rattachés à
d'autres collectivités publiques. S'il est vrai que les départements et les régions exploitent peu
de tels services , il n'en va pas de même pour l'Etat ou les établissements publics
nationaux, qui sont toutefois directement concernés par le droit communautaire.
• Les traités européens ne se préoccupent pas de l'organisation des administrations nationales
et n'ont donc pas consacré les concepts des droits internes. C'est pourquoi la notion française
de service public n'est pas reprise en droit communautaire. Cependant celui-ci règle des
activités économiques et rencontre les services publics en tant qu'opérateurs
économiques ou entreprises, indifféremment de leurs statuts juridiques. Ainsi l'article 90 du
traité de Rome concerne les entreprises publiques et « les entreprises chargées de la gestion de
services d'intérêt économique général ou présentant les caractères d'un monopole fiscal ».
Elles sont soumises aux règles du traité, notamment aux règles de concurrence, dans les
limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait
de la mission particulière qui leur a été impartie. Les conditions de leur fonctionnement ne
doivent pas affecter le développement des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt de la
Communauté. Cela renvoie évidemment en priorité au régime financier, c'est-à-dire aux
conditions de formation de leurs prix .
Ce qui est fondamentalement en cause c'est la sincérité des coûts supportés par l'entreprise et
entrant dans la composition de ses prix . La jurisprudence et les mesures de
déréglementation préparées ou prises par les autorités communautaires visent à couper
l'entreprise d'un accès privilégié aux budgets, du fait des avantages de toutes natures dont elle
bénéficie, dans tous les cas où cela fausse la concurrence ou a un caractère protectionniste.
Cette disposition, qui a donné lieu à une abondante jurisprudence et à d'importants
commentaires doctrinaux (85), pousse à des transformations économiques considérables, qui
dépassent le cadre de cet article. On en retiendra deux points.
D'une part elle oblige à une rationalisation des modes de gestion du secteur public dans son
ensemble en lui faisant porter une plus grande attention à la formation de ses coûts.
D'autre part elle oblige à mieux délimiter et justifier ce qui est service public , qualité qui
ne peut résulter simplement de la prise en charge par un budget public , laquelle doit être
une conséquence et non une cause.
Le régime des prix : égalité, égalités
La politique des prix
publics peine à surmonter ses contradictions. D'une part l'égalité
des usagers devant le service public est un principe général du droit administratif qui
s'applique spécialement aux dispositions financières qui en règlent l'accès. D'autre part la
logique commerciale, la recherche d'une plus grande efficacité de gestion (lissage des
consommations, opérations de promotion, clientèles préférentielles, etc.) ou des
considérations sociales déduites de la nature du service public , poussent les gestionnaires
des services payants à multiplier les conditions tarifaires pour satisfaire tous les « segments
» du marché. La pratique est notoirement à la modulation et à la diversification des prix
(86).
La jurisprudence doit donc faire de délicats arbitrages parmi les innombrables formules
tarifaires inventées par les praticiens (87).
Appliquant sa méthode habituelle d'interprétation de l'égalité, le juge autorise les
différenciations de prix dès lors qu'elles sont fondées sur des différences objectives de
situation « de nature à justifier l'établissement de tarifs différents », ou qu'elles répondent à
une « nécessité d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation du service
(88) ».
Elle admet la plupart des tarifs qui sont justifiés par des considérations économiques
clairement explicitées (89). Les principales difficultés sont apparues dans des services
locaux, lorsque les autorités ont voulu moduler les tarifs en fonction de la situation
personnelle des usagers (90).
Une première forme de discrimination se fonde sur le lieu de résidence des personnes utilisant
les services ou équipements locaux. Le juge a admis qu'une collectivité pouvait, dans
certaines circonstances, demander des prix plus élevés à des personnes non domiciliées sur
son territoire, dès lors qu'il s'agit d'un service facultatif et que le prix majoré n'excède pas
le prix de revient du produit ou du service (91). En effet, les coûts non couverts par le
prix le sont par les impôts locaux, auxquels ne contribuent pas les familles ne résidant pas
dans la commune.
Les ponts à péage ont donné lieu à des péripéties bien connues. Après que le Conseil d'Etat
eut déclaré illégal le péage établi sur le pont d'Oléron, la loi du 12 juillet 1979 est venue
autoriser « à titre exceptionnel et temporaire » les péages, en prévoyant dans son article 4 que
sur les voies départementales des tarifs différents, et même la gratuité, étaient applicables «
selon les diverses catégories d'usagers » pour tenir compte des nécessités d'intérêt général
liées à l'exploitation ou de la situation particulière de certains usagers, notamment à raison de
leur domicile ou travail dans le département (art. 153-4 du Code de la voirie routière). Bien
que le juge constitutionnel ait avalisé cette conception (92), le juge administratif a donné de
ce droit de modulation une interprétation étroite, en censurant la gratuité instaurée au profit
des véhicules immatriculés dans le département, et contribuant donc à son budget par la
vignette (93).
La discrimination fondée sur des critères de ressources des familles a suscité une
jurisprudence controversée, lorsqu'il a été jugé, à propos d'une école de musique : « Les
différences de revenus entre les familles des élèves n'étaient pas constitutives, en ce qui
concerne l'accès au service public , de différences de situation justifiant des exceptions au
principe d'égalité qui régit cet accès ; [...] compte tenu de l'objet du service et de son mode
de financement, il n'existait aucune nécessité d'intérêt général justifiant pour la fixation des
droits d'inscription, une discrimination fondée sur les seules différences de ressources entre
ces usagers (94). »
La doctrine et les élus locaux soulignent que si ce service n'a pas une fonction d'assistance,
il participe néanmoins à l'intégration sociale et justifie, par conséquent, que l'on prenne en
compte la situation financière des familles, d'autant plus que les prix ne couvrent jamais les
frais réels du service .
Le service qui a une vocation sociale plus affichée peut, en revanche, pratiquer des tarifs
différenciés selon les revenus des usagers. C'est le cas d'une crèche collective (95).
Lorsque la discrimination n'est pas possible par les tarifs, des compensations financières
peuvent être attribuées aux familles nécessiteuses par l'intermédiaire du centre communal
d'action sociale, y compris d'ailleurs pour de véritables services industriels et commerciaux
(factures d'eau...). Devant la gravité des conséquences qui s'attachent à l'exclusion de
certaines personnes de services publics essentiels pour leur vie quotidienne, comme l'eau
ou l'électricité, certains grands concessionnaires privés ont pris des initiatives pour maintenir
le service même aux clients défaillants, éventuellement par des formes de mutualisation ou
de péréquation. Des parlementaires ont proposé un prélèvement sur les recettes d'EDF-GDF
pour financer certains impayés. Revoici l'idée d'une réelle universalité, plus indispensable
parfois qu'une égalité formaliste. Retour du service public ?
La grande variété des techniques financières, la diversité des modes de gestion et une
jurisprudence plutôt bienveillante permettent une adaptation du droit à pratiquement toutes les
situations dès lors qu'il s'agit de faire payer l'usage ou le bénéfice du service public . La
conséquence en est que les régimes juridiques sont extrêmement éclatés et que la matière
manque d'unité. Toutefois deux observations générales nous semblent pouvoir être dégagées.
• La tension entre le prix et le service public résulte d'un conflit entre la loi
économique et la volonté politique. Car le prix touche le service public au coeur, dans
sa conception fondamentalement politique. En se présentant comme la valeur de la chose, il
heurte la croyance mythique d'une valeur en soi du service public , incalculable par
essence (96).
A présent que les coûts du service public sont devenus insupportables pour la société, et
qu'il faut réintroduire de la raison économique, la tarification est sans doute une réponse, qui a
ses propres limites. De plus en plus souvent le choix n'est plus entre impôt ou prix ; il faut
recourir à l'impôt et au prix .
Si la pénétration des prix dans le système public a un incontestable effet subversif sur le
régime des services publics , voire sur la conception qu'on s'en fait, elle exige aussi une
mise à jour du droit financier, qui doit s'adapter à leur logique propre, en aménageant les
principes budgétaires et les règles comptables qui interdisent la bonne connaissance des coûts.
La modernité économique est là.
• Plus d'économie, mais aussi plus de droit ! Car la juridicisation des règles financières,
évidente en droit budgétaire, constitutionnel et administratif (équilibre des budgets locaux,
dépenses obligatoires), est également perceptible en matière de tarification des services
publics , où elle s'approprie des domaines très techniques de la comptabilité, du calcul des
coûts, de l'utilisation des amortissements, de l'imputation des charges, etc.
La règle dégagée par le juge est parfois tirée de l'analyse des caractéristiques des services (
services divisibles, régime des discriminations tarifaires), mais sans que cela aboutisse à
créer des catégories juridiques de services publics : la règle garde un objet
essentiellement financier. Révélatrice des changements en cours de notre droit est la référence
directe faite par le juge aux règles et aux données purement financières, et notamment
comptables, qui prennent une existence par elles-mêmes et imposent leur vérité au service .
Sans prétendre que la notion de service public disparaît derrière les règles de gestion et
de financement, on observe cependant que celles-ci acquièrent une valeur juridique et une
visibilité propres qui les font apparaître au premier plan et non pas simplement comme des
sous-produits des catégories juridiques à objet principalement contentieux ou procédural. Au
contraire, par l'effet du droit national ou communautaire c'est la règle de nature économique
ou financière qui détermine les qualités, et quelquefois l'existence, du service public . La
gravité des problèmes posés par le financement des activités publiques, qui renvoie à un
principe de réalisme, nécessite que l'on place délibérément la théorie des services publics
dans l'éclairage économique et qu'on en déduise un système juridique approprié. L'évolution
de notre droit est loin d'être achevée (97).
Mots clés :
ACTE UNILATERAL * Loi * Domaine de la loi
COLLECTIVITE TERRITORIALE * Commune * Finances de la commune * Recettes *
Redevance
CONSTITUTION * Norme à valeur constitutionnelle
CONTENTIEUX * Compétence * Répartition des compétences entre les deux ordres de
juridiction * Service public à caractère industriel et commercial * Procédure
administrative contentieuse * Pouvoirs et devoirs du juge * Contrôle du juge de l'excès de
pouvoir * Erreur manifeste
CONTRAT * Marché public * Exécution du marché public * Rémunération du
cocontractant
DROIT EUROPEEN * Droit de l'Union européenne
DROIT PUBLIC DE L'ECONOMIE * Commerce * Réglementation du commerce
FINANCE ET FISCALITE * Juridiction financière * Contrôle des comptes publics
JUSTICE * Conseil constitutionnel
ORGANISATION ADMINISTRATIVE * Etablissement public * Notion d'établissement
public * Régime juridique de l'établissement public * Régime financier et comptable
SERVICE PUBLIC * Définition du service public * Service public à caractère
administratif * Financement du service public * Gratuité du service public * Usager
du service public * Différence de traitement
(1) Le 20 juin 1997, l'AJDA a publié un numéro spécial intitulé « Service public : unité
et diversité » qui, outre la présente contribution, comprend les articles suivants :
Editorial de Pierre Le Mire, p. 1 .
Le service
Service
public : regards sur une évolution, par Jacques Chevallier, p. 8 .
public et Constitution, par Louis Favoreu, p. 16 .
L'approche fonctionnelle du service
Corail, p. 20 .
public : sa réalité et ses limites, par Jean-Louis de
L'identification du service
Les services
public par le juge administratif, par Michel Gentot, p. 29 .
publics et l'Europe : quelle union ?, par Antoine Lyon-Caen, p. 33 .
Unité et diversité des « grands principes » du service
public , par Didier Truchet, p. 38 .
Le pouvoir d'organisation du service , par Rémy Schwartz, p. 47 .
Service
public et comptabilité publique, par André Delion, p. 69 .
Service
public et aménagement du territoire, par Yves Madiot, p. 83 .
Service
public et libre circulation, par Michel Bazex, p. 90 .
Etablissement public et service
public , par Etienne Fatôme, p. 96 .
Remarques sur les entreprises privées de service
public , par Laurent Richer, p. 103 .
Les incidences du caractère national ou local du service
Douence, p. 113 .
La modernisation du service
public , par Jean-Claude
public , par Marcel Pochard, p. 123 .
L'expérience britannique, par John Bell, p. 130 .
L'expérience espagnole, par Elisenda Malaret Garcia, p. 136 .
L'expérience italienne, par Sabino Cassese, p. 143 .
L'expérience allemande, par Jürgen Schwarze, p. 150 .
L'expérience américaine, par Lucien Rapp, p. 159 .
(2) Le droit financier ne s'est développé que plus tardivement, et ces disciplines ne
s'interpénétraient pas, même chez Gaston Jèze, pourtant familier des deux.
(3) Il est impossible d'avoir un ordre de grandeur des sommes encaissées en France au titre du
prix des services publics . Quel périmètre choisir ? Faut-il y inclure les délégations, les
organismes HLM, les entreprises publiques gérant un service public ? Il n'existe aucune
donnée pertinente sur les recettes d'exploitation des EPCI (établissements publics de
coopération intercommunale) ; les comptes de nombreux organismes mêlent des ressources
très disparates (SNCF, RATP, Théâtres, etc.). Les nomenclatures budgétaires sont peu
rigoureuses ; l'état A, « Voies et moyens », annexé à la loi de finances, mélange dans les
ressources non fiscales des produits de nature hétérogène.
(4) Trib. confl. 22 janvier 1921, Société commerciale de l'Ouest africain, Lebon p. 91.
(5) « L'innovation fondamentale de l'arrêt Société commerciale de l'Ouest africain consiste
précisément dans l'application de la notion de gestion privée à des services publics
entiers, pris dans leur ensemble, en bloc », Les grands arrêts de la jurisprudence
administrative, Dalloz, 11e éd., 1996, p. 215.
(6) Nous donnons ici à ce terme une valeur générique, sans recenser tous ceux utilisés par
l'administration et le législateur pour qualifier les ressources publiques, sans aucune rigueur
d'ailleurs. Les expressions de rémunérations ou redevances de (ou pour) services rendus,
utilisées à bon escient, en sont des synonymes, plus volontiers employées lorsqu'on est en
présence de prestations et de services administratifs ; prix est habituel pour les livraisons
de biens ( prix de l'eau, mais redevance d'assainissement). Tout cela n'a qu'une signification
très approximative. Pour une tentative de mise en ordre, V. Dictionnaire encyclopédique de
finances publiques, Economica, 1991, Vo « Ressources publiques ».
(7) Faute pour la jurisprudence, tant administrative que constitutionnelle, d'avoir conçu une
définition positive de l'impôt, le juge qui se trouve devant une recette de nature incertaine
procède par éliminations successives : elle ne correspond pas à un prix , à une taxe
parafiscale, à une cotisation sociale - notions pour lesquelles il dispose de définitions
opératoires - elle est donc une imposition (Cons. const. 16 novembre 1977, décision n° 77100 L, Rec. p. 65 ; Cons. const. 23 juin 1982, décision n° 82-124 L, Rec. p. 99, redevances
des agences financières de bassin).
(8) CE Ass. 21 novembre 1958, Syndicat national des transporteurs aériens, Lebon p. 572 ;
D. 1959-J-475, concl. Chardeau, note Trotabas.
(9) Cons. const. 24 octobre 1969, décision n° 69-57 L, Rec. p. 32 ; Cons. const. 6 octobre
1976, décision n° 76-92 L, Rec. p. 59 ; Cons. const. 17 décembre 1992, décision n° 92-171 L,
Rec. p. 123.
(10) Cass. civ. 17 février 1908, Ville de Paris, RSLF 1908, p. 362 ; CE 10 août 1918, Sté
Cinéma National, Lebon p. 853 ; CE 10 février 1928, Chambre syndicale des propriétaires
marseillais, Lebon p. 222 ; pour une étude complète V. notre chron. Rev. sc. fin. 1976, pp.
1089 à 1145.
(11) CE Sect. 20 octobre 1950, Fédération parisienne du bâtiment, Lebon p. 507.
(12) Le juriste ne peut évidemment suivre les économistes lorsqu'ils considèrent que tout
mode de financement d'une prestation, qui en couvre le coût, est un « prix » et appliquent
cette dénomination même à des impôts.
(13) Art. 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.
(14) En 1997 l'Etat prévoit de lever pour son budget près de 1650 milliards de francs d'impôts,
mais aussi d'émettre pour plus de 600 milliards de francs de titres publics .
(15) Sous réserve de différences dans les modalités techniques, un impôt à vocation purement
interventionniste suit le même régime que celui qui est destiné prioritairement à couvrir les
besoins du service public . Les thèses qui contestent la légitimité même des impôts
interventionnistes, où « la fiscalité arrive à s'autojustifier » (J.-C. Martinez, P. Di Malta, Droit
fiscal contemporain, Litec, tome 1, p. 33) n'ont pas trouvé un grand écho.
(16) Claude Gruson, José Cohen, Tarification des services publics locaux, rapport au
ministre de l'Intérieur, La Documentation française, 1983, 147 pages ; Martine Long, Les
problèmes juridiques liés à la tarification des services publics locaux, thèse, Pau 1994,
420 pages.
(17) Pensons simplement aux universités qui facturent documents et dossiers et multiplient les
diplômes spécialisés payants.
(18) Pour une analyse de ces auteurs, V. notre thèse, Recherches sur la gratuité et la nongratuité des services publics , Strasbourg, 1972, dactyl. V. également Alain-Serge
Mescheriakoff, Droit des services publics , PUF 1991, p. 195.
(19) Par exemple Gérard Moine, Le service universel : contenu, financement, opérateurs,
AJDA 1997, p. 246.
(20) CE 21 octobre 1988, Syndicat national des transporteurs aériens c/ Ministre chargé des
transports, RDP 1989 p. 1464, note Y. Gaudemet.
(21) Cons. const. 12 juillet 1979, décision n° 79-107 DC, Rec. p. 31.
(22) Notre thèse préc. ; C. Teitgen-Colly, La légalité de l'intérêt financier dans l'action
administrative, Economica, 1981.
(23) CE Ass. 18 juillet 1996, Société Direct Mail Promotion et autres, AJDA 1997, p. 189,
note Herbert Maisl. A propos de la vente de fichiers par l'INSEE, le juge précise encore : «
aucun principe général du droit, ni aucune disposition législative ne font obstacle à ce que les
services rendus par l'INSEE énumérés à l'article 1er du décret attaqué fassent l'objet d'une
rémunération. »
(24) CE 10 janvier 1986, Commune de Quingey, Lebon p. 3.
(25) CE Ass. 28 janvier 1972, Conseil transitoire de la faculté des lettres et sciences
humaines de Paris, AJDA 1972 p. 109 et chron. p. 90. Les droits universitaires ont leur
fondement dans une loi de 1951 dont le juge ne veut pas apprécier la constitutionnalité.
(26) Et les dérogations posées par la loi n° 79-591 du 12 juillet 1979, promulguée suite à
l'annulation des actes établissant le péage du pont d'Oléron, CE Sect. 16 février 1979, Comité
d'action et de défense des intérêts de l'île d'Oléron et Bourcefranc, AJDA septembre 1979, p.
54, note M. -J. Milord-Texier.
(27) L'usager est une personne qui est dans un rapport direct avec le service , formalisé par
un contrat ou un acte spécifique (« inscription », demande...) destiné à lui donner accès aux
prestations. Sur cette notion, V. Alain-Serge Mescheriakoff, préc., p. 211.
(28) Le décret établissant des redevances pour services rendus par des vétérinaires du
ministère de l'Agriculture est illégal, car cette mission « est instituée non dans le seul intérêt
des professionnels qui y sont soumis, mais essentiellement dans un intérêt général de
protection de la santé publique » (CE 10 décembre 1982, Chambre syndicale des centres
agréés d'abattage et de conditionnement des produits de basse-cour, Lebon p. 414), alors que
de nombreuses lois ont établi de tels frais de contrôle. Le Conseil d'Etat (13 novembre 1987,
SNTA, Rev. jur. env. 1988 p. 117 et notre note) a annulé les décrets créant une redevance pour
atténuation des nuisances phoniques autour des aéroports, au motif que cela ne correspondait
pas à une rémunération et constituait une imposition ; mais auparavant une taxe parafiscale
avait eu cet objet et les articles 16 à 20 de la loi n° 92-1444 du 31 décembre 1992, relative à la
lutte contre le bruit, ont créé une taxe due par les exploitants d'aéronefs qui a un régime
analogue.
(29) CE Sect. 22 octobre 1976, Sté Cie française Thomson-Houston- Hotchkiss-Brandt, Lebon
p. 437, des équipements qui présentent simplement de l'intérêt ne peuvent donner lieu à
redevance pour service rendu.
(30) Ce sont surtout les services qui exercent des prérogatives de puissance publique,
d'administration générale, de police au sens large, les services de législation ou de
réglementation, le service public judiciaire, la défense nationale, les relations
internationales, les services fiscaux et de la comptabilité publique, etc.
(31) Les cotisations sociales pourraient être considérées comme une catégorie intermédiaire
entre impositions et prix , puisqu'elles sont censées être acquittées par les personnes qui
bénéficieront des prestations ainsi financées. Mais leur mode de recouvrement, la retenue à la
source chez l'employeur, le fait qu'une partie des cotisations soit réputée être payée par
l'employeur, les éloignent progressivement de la prime d'assurance.
(32) Cass. civ. 4 décembre 1894, Compagnie d'Assurance c/l'Incendie le Soleil, D. 1895-1-p.
89 ; « L'autorité municipale, en cette matière, accomplit un devoir légal et doit être considérée
comme faisant moins l'affaire des particuliers que celle de la généralité des habitants. »
(33) CE 18 janvier 1985, Mme Marie d'Antin de Vaillac et Syndicat des sylviculteurs du SudOuest, RDP 1985, p. 804, note J.-M. Auby ; RFDA 1985, p. 519, note J.-C. Douence. V.
également, CE 5 décembre 1966, Sté agricole d'Oyré, Lebon p. 532 ; CE 5 décembre 1984,
Ville de Versailles c/ Mme Lopez de Arias (Lebon p. 391 ; RFDA 1985, p. 522 note X. Prétot),
où le juge précise que la commune est fondée à poursuivre le « remboursement des frais
exposés pour des prestations particulières qui ne relèvent pas de la nécessité publique ». CAA
Nancy 6 février 1990, Ville de Dijon, Lebon p. 897.
(34) CE Ass. 30 octobre 1996, Mme Wajs et M. Monnier, AJDA 1996, p. 1041, et chron. p.
973 : « l'exercice par la gendarmerie nationale des missions de surveillance et de sécurité des
usagers qui par nature incombent à l'Etat... ».
(35) CE Sect. 10 février 1995 (2 esp.) et CE 22 juillet 1994, Chambre syndicale du transport
aérien, AJDA 1995, p. 403, note Denis Broussolle. Les « dépenses qui sont exposées dans
l'intérêt de la sécurité des usagers et des populations survolées ne pouvaient légalement être
comprises » dans les bases de calcul des redevances demandées aux compagnies aériennes.
(36) A quoi on ajoutera que la relation entre bien collectif et service public est relative,
dans la mesure où existent des substituts privés à ce dernier. Des gardes et autres vigiles
privés sont payés pour assurer la sécurité, y compris dans les administrations elles-mêmes.
Les entreprises présentant des risques particuliers doivent salarier leur propre service de
sécurité et de secours...
(37) CE Sect. 28 juin 1968, Benet, Lebon p. 404 ; CE Sect. 22 décembre 1978, Syndicat
viticole des Hautes Graves de Bordeaux et autres, Lebon p. 526 ; Cons. Const. 16 novembre
1977, décision n° 77-100 L, Rec. p. 65 (redevance pour le contrôle des organismes d'HLM qui
n'est pas uniquement la contrepartie d'un service rendu et a dès lors le caractère d'une taxe).
Exemples de telles redevances établies par la loi : les redevances dues par les exploitants des
établissements classés pour la protection de l'environnement, les redevances dues par les
exploitants d'installations nucléaires de base, les droits pour frais de contrôle des instruments
de pesage et de mesurage, les frais de contrôle des médicaments, etc.
(38) CE 22 janvier 1904, Delepoulle, dit Debruyere, S. 1906-III, p. 60 ; CE 10 août 1918, Sté
Cinéma National, Lebon p. 853 ; CE Sect. 17 décembre 1937, Garnier et Legris, Lebon p.
1053 ; CE 28 décembre 1949, Sté Ciné Lorrain, Lebon p. 584.
(39) Décret n° 97-199 du 5 mars 1997 relatif au remboursement de certaines dépenses
supportées par les forces de police, JO p. 3624. Les organisateurs du Tour de France cycliste
participent aux frais de police.
(40) Art. L. 2321-27 du Code général des collectivités territoriales, qui range les dépenses des
services d'incendie et de secours dans les dépenses obligatoires des communes, mais
autorise celles-ci à exiger des remboursements de frais de secours pour des activités sportives
désignées par décret, après en avoir fixé et publié les modalités.
(41) Alain Linares, De la gratuité des interventions des services d'incendie et de secours et
des dérogations à ce principe, Les Cahiers de l'administration territoriale, Reims, 1996, n°
15, p. 89.
(42) La désignation des recettes d'après le traitement budgétaire ou comptable qui leur est
appliqué, sans considération pour leur nature financière réelle, participe au brouillage des
concepts financiers. Ainsi, les « fonds de concours » sont parfois de véritables prix , parfois
des dons, parfois encore des impositions, caractérisés surtout par leur régime comptable.
(43) Sur ces derniers, note Herbert Maisl, préc. ; C. Blaizot-Hazard, Les droits de propriété
intellectuelle des personnes publiques en droit français, LGDJ-PUR 1991. Le problème de
fond est de savoir dans quelle mesure les créations et inventions faites dans le cadre du
service public doivent être protégées ou laissées dans le domaine public , accessibles
sans condition et sans frais. Le droit français ne consacre pas cette dernière orientation.
(44) La redevance pour droit d'usage des appareils de télévision est une taxe parafiscale dont
le redevable est le propriétaire d'un appareil récepteur ; la taxe d'enlèvement des ordures
ménagères est due par le propriétaire de l'immeuble (art. 1523 du Code général des impôts).
(45) CE 6 mai 1985, Commune de Pointe-à-Pitre c/ Martin, Lebon p. 557 ; Dr. fisc. 1985 n°
14709, p. 328, concl. Fouquet.
(46) CE Sect. 16 novembre 1962, Syndicat intercommunal d'électricité de la Nièvre et autres,
Lebon p. 612 ; CE 24 janvier 1986, Ministre de l'Urbanisme, Lebon p. 18 ; CE 3 juillet 1991,
Syndicat des psychiatres des hôpitaux, Lebon p. 1151 .
(47) CE 16 mai 1941, Toublanc, Lebon p. 91 ; S. 1942-3, p. 7.
(48) Par exemple CE 21 octobre 1988, préc., avec trois considérants sur la proportionnalité.
(49) En matière de police par exemple : CE Sect. 10 février 1995, 1re et 2e esp. ; CE Ass. 30
octobre 1996, Mme Wajs et M. Monnier, préc.
(50) Par exemple une surfacturation de l'eau pour dégager des ressources destinées aux
services culturels ou sportifs : TA Lyon 14 décembre 1993, Paul Chomat et autres, AJDA
1994, p. 349, obs. Denis Broussolle ; CE 30 septembre 1996, Sté Stéphanoise des eaux, ville
de Saint-Etienne.
(51) A propos des ponts à péage sur les routes départementales, V. note J.-F. Lachaume sous
CE 28 juillet 1989, Comité d'action et de défense des intérêts oléronais (CADIO) et autres, 3
esp., RFDA 1990, p. 433 .
(52) Art. 14 de la loi de finances du 30 décembre 1974, autorisant les collectivités locales et
leurs groupements à établir des redevances d'enlèvement des ordures ménagères ayant le
caractère de rémunérations de service rendu ; art. 9 de la loi du 8 juillet 1965 sur la
modernisation du marché de la viande, les autorisant à créer des redevances dans les abattoirs.
(53) Cons. const. 30 janvier 1968, décision n° 68-50 L, Rec. p. 23. L'autorisation donnée à
l'ORTF de demander une rémunération pour certaines de ses activités, ne met pas en cause les
règles relatives à la création des catégories d'établissements publics et ne modifie pas le
cadre général de son organisation ou les règles de son fonctionnement. Le passage devant le
Parlement n'était donc pas obligatoire.
(54) Rapport particulier La gestion des services
janvier 1997, Ed. du Journal officiel, 292 pages.
publics locaux d'eau et d'assainissement,
(55) Le flux contentieux concernant les redevances d'enlèvement des ordures ménagères
s'explique peut-être parce qu'ici la relation entre l'usage du service et la somme payée est
souvent assez distendue, ce que le juge a d'ailleurs consacré en termes quelque peu
contradictoires : « les redevances en matière d'enlèvement d'ordures ménagères trouvent leur
contrepartie dans les prestations que le service met à la disposition des usagers, que ceux-ci
utilisent ou non le service rendu », TA Limoges 1eroctobre 1987, Voisin c/ Trésorier-payeur
général de l'Indre.
(56) Pour les services en régie. Dans les délégations, la référence est le contrat et le cahier
des charges, qui comprennent des dispositions relatives aux prix . L'usager ou d'autres
personnes intéressées peuvent contester ces actes eux-mêmes, par les voies pertinentes, ou
contester les prix fixés par le délégataire au motif qu'ils n'en respectent pas les clauses.
Dans les entreprises publiques gérant un service public la nature des actes est variable ;
l'homologation de leurs prix par l'administration peut être attaquée.
(57) Le contrôle des délibérations du conseil municipal relatives au prix de l'eau, concl. F.
Bourrachot sur TA Lyon 30 novembre 1993, M. Paul Chomat et autres, RFDA 1995, p. 699
.
(58) Chaque fois que le « prix » est disqualifié en imposition.
(59) CE 4 juin 1975, Bocholier, Lebon p. 332.
(60) A condition qu'il démontre d'un intérêt, ce qui n'est pas le cas lorsque l'acte contesté ne
peut avoir pour effet que d'alléger les charges des contribuables ou d'augmenter les ressources
communales, CE 19 octobre 1980, Remy, Lebon p. 635.
(61) Trib. confl. 12 janvier 1987, Compagnie des eaux et de l'ozone c/ SA Ets Vetillard, Lebon
p. 442 ; la facturation faite par une société fermière à une société cliente « concerne le prix
d'un service et ne met en cause que les droits nés des rapports entre deux personnes privées
».
(62) On pourrait rappeler que tous les prix supportent des charges de service public par
l'effet des impôts qui y sont incorporés, ce qui constitue la raison pour laquelle les services
marchands ne doivent pas être subventionnés, puisque c'est avec l'argent de leurs concurrents,
doublement handicapés.
(63) Des services publics sont assumés par des organismes privés, dont l'essentiel des
ressources, voire la totalité, ne provient pas du paiement d'un prix par les usagers, mais de
recettes d'autres natures : associations (fédérations sportives, organismes sociaux, culturels ou
touristiques), ordres professionnels, organismes d'intervention économique financés par des
taxes parafiscales, etc., sans parler des institutions de la sécurité sociale. Il ne s'agit
pratiquement jamais de SPIC.
(64) Une régie d'eau, sans autonomie financière et dont « la somme mise à la charge des
usagers était inférieure au coût réel du service [...] a dès lors un caractère administratif »,
Cass. soc. 10 juillet 1995, Cie de l'eau et de l'ozone, AJDA 1996, p. 396, note Michel Bazex.
CE 7 mai 1982, Verdier, Lebon p. 554. Mais il y a des décisions de sens contraire : Trib.
confl. 19 février 1990, Thomas c/ Commune de Francazal, AJDA 1990, p. 558, note Théron
; Michel Borghetto, Sur la nature juridique du service de distribution d'eau et le traitement
jurisprudentiel du principe d'égalité, RFDA 1993, p. 673 .
(65) Trib. confl. 24 juin 1968, Ursot c/ Ministre des P. et T., Lebon p. 798 ; AJDA 1969, p.
139, chron. Lemasurier.
(66) Trib. confl. 8 novembre 1982, SA Maine Viande et autre, Lebon p. 460.
(67) Toutefois lorsque l'illégalité qui affecte une redevance conduit à changer sa nature même
et à en faire une imposition, c'est le juge administratif qui se retrouve compétent puisque le
service ainsi organisé ne pouvait pas être considéré comme industriel ou commercial. Trib.
confl. 13 février 1984, Lebon p. 523, et CE 6 mai 1985, Commune de Pointe-à-Pitre, préc.
(68) Cons. const. 29 décembre 1983, décision n° 83-166 DC, Rec. p. 77.
(69) L'Agence nationale pour la récupération et l'élimination des déchets, créée par la loi du
15 juillet 1975, l'Agence pour la qualité de l'air, créée par la loi du 7 juillet 1980, et l'actuelle
Agence de l'environnement et de la maîtrise d'énergie, qui a absorbé les deux précédentes, en
sont de bons exemples.
(70) Cons. const. 23 février 1970, décision n° 70-61 L, Rec. p. 37 ; DS 1970, p. 388 note
Lavigne ; CE Ass. 20 décembre 1985, Syndicat national des industries de l'alimentation
animale, Lebon p. 381 ; RDP 1987, p. 787, concl. Racine.
(71) Dossier spécial Délégation de service
public , AJDA
1996, p. 571 et ss.
(72) CE 15 avril 1996, Préfet des Bouches-du-Rhône c/ Commune de Lambesc, AJDA 1996,
p. 806, et chron. Didier Chauvaux et Thierry-Xavier Girardot, AJDA 1996, p. 729 ; RFDA
1996, p. 715, concl. Ch. Chantepy , note Philippe Terneyre ; Dr. adm. 1996, n° 355, note J.B. A. ; CJEG 1996, p. 270, note R. Savignat. La motivation est contenue dans une formule un
peu obscure (« la rémunération du cocontractant de l'administration n'est pas
substantiellement assurée par les résultats de l'exploitation ») qui fait l'objet d'une
interprétation restrictive de J.-B. A. et d'une critique vigoureuse de Philippe Terneyre.
(73) Marie-Thérèse Sur-Le Liboux, Les prix et les services , AJDA
1996, p. 642.
(74) David Encoua, Laurent Flochel, La tarification : du monopole à la concurrence régulée,
AJDA 1997, p. 254.
(75) Albert Louppe, Le prix du service public - L'effort de rationalisation tarifaire des
collectivités territoriales, CNFPT 1988, 157 pages.
(76) Par exemple la création du « fonds de péréquation des transports aériens » qui doit
concourir « à assurer l'équilibre des dessertes aériennes réalisées dans l'intérêt de
l'aménagement du territoire », créé par la loi n° 95-115 du 4 février 1995.
(77) Une illustration : lorsque la commune répercute dans le prix des repas servis dans les
cantines scolaires le seul prix d'achat payé à un traiteur, sans tenir compte des coûts du
personnel de service et de surveillance, des produits de nettoyage, etc.
(78) Une place à part revient évidemment à la RATP et à la SNCF.
(79) J-Cl. adm. fasc. 290 « Régime des prix ». Divers secteurs, qui comprennent des
services publics (énergie, transports, péages autoroutiers, activités portuaires) ou non,
continuent à faire l'objet d'une réglementation spéciale. G. Vlachos, Droit public
économique français et communautaire, Armand Colin, 1996, p. 279 et ss.
(80) Peu d'arrêts disqualifient le prix en imposition au motif qu'il est considérablement
supérieur au coût : aff. Toublanc, préc. Rappelons cependant la jurisprudence qui interdit
d'imputer à un SPIC des charges provenant d'une autre fonction de la collectivité locale
(affaire des eaux de Saint-Etienne), politique qui n'est pas exceptionnelle dans le milieu local.
(81) La comptabilité économique nationale considère qu'est un service non marchand celui
dont les résultats de la vente représentent moins de la moitié du coût de production ; mais,
s'agissant des services de transports publics , la compensation de certaines réductions
tarifaires est assimilée à une ressource d'exploitation.
(82) Les « transferts anormaux aux dépens des usagers » restent cependant assez répandus :
V. Rapport de la Cour des comptes sur les services d'eau, préc., p. 37 et ss.
(83) Soit lorsque les exigences du service conduisent la collectivité à imposer des
contraintes particulières de fonctionnement, soit lorsque le service exige la réalisation
d'investissements qui ne pourraient « être financés sans augmentation excessive des tarifs ».
Ces conditions sont assez faciles à démontrer dans la délibération motivée du conseil exigée
par la loi.
(84) Par exemple CE 2 juin 1995, Ville de Nice. La « Grande Parade du jazz », vu l'intérêt
général d'ordre culturel et touristique de cette manifestation, les conditions de son
financement et son mode de fonctionnement, a le caractère d'un SPA, dont une partie des frais
pouvait donc être prise en charge par le budget communal.
(85) Traité instituant la CEE, Commentaire article par article, Economica 1991 ; Code
européen de la concurrence, annoté par R. Kovar, Dalloz 1993 ; AJDA 1996, dossier
Services d'intérêt économique général, p. 171 et ss.
(86) Le phénomène s'accentue avec l'émergence du « client » ; Ch. Barbier, L'usager est-il
devenu le client du service public ?, JCP éd. G, 1995, doct., n° 3816.
(87) Le droit communautaire touche également la conception du principe d'égalité, non
seulement parce qu'il le consacre en tant que tel, mais au travers du principe d'universalité
(des destinataires et de la couverture territoriale) qui suppose notamment que certaines
missions soient assurées « à des tarifs uniformes et à des conditions de qualité similaire, sans
égard aux situations particulières et au degré de rentabilité économique », CJCE 19 mai 1993,
Corbeau, aff. C/ 320/91, Rec. p. I-2563.
(88) CE 22 janvier 1993, Meyet, Petites Affiches 12 juillet 1993, p. 20, note M. Cliquennois ;
la Haute Assemblée était appelée à se prononcer sur quelque huit formules de tarification des
produits de France-Télécom.
(89) Partage d'un tarif entre une part forfaitaire, correspondant aux frais fixes, et un montant
variable, proportionnel ou dégressif, en fonction de la consommation effective.
(90) Circulaire n° 86-015 du 16 janvier 1986 concernant les discriminations tarifaires dans la
gestion des services publics locaux.
(91) CE Sect. 5 octobre 1984, Commissaire de la République de l'Ariège, Lebon p. 315, concl.
Delon, à propos de cantines scolaires ; CE 2 décembre 1987, Commune de Romainville,
Lebon p. 556.
(92) Cons. const. 12 juillet 1979, décision n° 79-107 DC, Rec. p. 31.
(93) TA Poitiers 7 mai 1996, M. Dumas c/ Département de la Charente-Maritime, RFDA
1996, p. 983, note critique de J.-F. Lachaume .
(94) CE 26 avril 1985, Ville de Tarbes, Lebon p. 119, concl. Lasserre.
(95) CE 20 janvier 1989, Centre communal d'action sociale de La Rochelle, Lebon p. 8 ;
AJDA 1989, p. 553, obs. X. Prétot.
(96) La comptabilité nationale consacre d'une certaine manière cette conception en posant que
la valeur des services non marchands est égale à leur coût de production. Cela facilite bien
des dérives, notamment au profit des employés qui considèrent volontiers que le service
public légitime toute dépense et donc tout prélèvement pour la couvrir, puisque, à
l'expérience, la régulation par le marché politique joue presque systématiquement en faveur
de la hausse de la dépense.
(97) V. le plaidoyer de Michel Bazex en faveur d'une « meilleure réception par le contentieux
administratif des concepts économiques », et financiers ajouterions-nous, qui « permettrait de
mieux traiter les problèmes posés par l'intervention des organismes publics et d'éviter ainsi
la fuite du contentieux vers d'autres cieux juridictionnels », note sous CE Ass. 21 octobre
1994, Ordre des avocats à la cour de Paris, AJDA 1995, p. 341.
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